Agence Qualité Construction
L'affaire:
Des maîtres d’ouvrage confient la réalisation des travaux de charpente de leur maison à l’entreprise X. Lors d’une tempête, la toiture et une partie de la charpente sont arrachées.
Les maîtres d’ouvrage déclarent alors le sinistre à leur assureur, la compagnie A qui confie une mission d’expertise au Cabinet Y.
Après avoir déclenché une expertise judiciaire, les maîtres d’ouvrage assignent la Compagnie d’assurance A mais également le cabinet d’expertise Y en garantie et indemnisation de leurs préjudices. Ils soutiennent que l’assureur a engagé sa responsabilité contractuelle à leur égard en raison d’un défaut de diligences dans l’instruction du dossier et des manquements imputables à l’expert amiable.
Ils estiment en effet que la compagnie A est responsable, en sa qualité de mandant, à l’égard des tiers, des fautes de son mandataire Y, et font également état des fautes de ce dernier qui n’a pas validé le devis des travaux réparatoires.
La cour d’appel condamne in solidum le cabinet d’expertise Y et l’assureur, à payer aux maîtres d’ouvrage certaines sommes au titre de l’aggravation du sinistre, de l’actualisation des préjudices de logement et de garde-meubles, et in solidum avec l’entreprise X, en réparation du préjudice moral.
La cour d’appel retient la responsabilité délictuelle du cabinet d’expertise Y à l’égard des maîtres d’ouvrage, estimant qu’il a fait preuve d’inertie dans l’instruction du dossier en refusant de valider le devis des travaux de reprise de la charpente et en empêchant ainsi la réalisation des travaux permettant de faire cesser les infiltrations à l’intérieur de la maison, et qu’il a commis une faute ayant contribué à l’aggravation du sinistre.
Le cabinet d’expertise Y se pourvoit alors en cassation en soutenant que la cour d’appel n’a pas recherché, à tort, si une telle validation entrait dans le cadre de la mission qui lui a été donnée, étant rappelé qu’il est uniquement chargé de donner un avis sur les travaux réparatoires, et que c’est la compagnie A qui a refusé de se prononcer sur le principe de sa garantie qu’elle a d’ailleurs fini par décliner.
La décision
Dans un arrêt rendu en février 2024, la Cour de cassation donne raison au cabinet d’expertise Y et censure la décision de la cour. Tout d’abord, elle rappelle qu’il résulte de l’article 1240 du Code civil que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage. Puis, elle adopte les moyens soulevés par le cabinet d’expertise en retenant qu’« en statuant ainsi, sans déterminer si l’assureur avait chargé l’expert [Y] de donner son accord à la réalisation des travaux de reprise, alors qu’il ressortait de ses propres constatations que l’assureur n’avait pas réagi à la réception du premier rapport de l’expert [Y] relatant les vaines démarches des assurés pour empêcher les infiltrations et qu’il ne lui avait pas donné, à la date de son second rapport, sa position sur le principe de sa garantie ». Ainsi, la Cour de cassation considère que la cour d’appel a statué par des motifs impropres à caractériser une faute de l’expert Y dans l’exercice de sa mission à l’origine de l’aggravation du sinistre, et a donc violé le texte susvisé (C. cass., 3e ch. civ., 15 février 2024, n° 22-12.365).
Le commentaire
La Cour de cassation se prononce ici sur les conditions nécessaires pour rechercher la responsabilité de l’expert Y mandaté par l’assureur et dont la responsabilité est parfois recherchée lorsque ce dernier dénie ses garanties ou que les constructeurs sont défaillants (ou pas assurés).
Dans cet arrêt, elle rappelle que pour retenir une faute, il faut connaître l’étendue des obligations contractuelles de l’expert Y. Il ne sera pas facile de le faire car les cabinets d’expertise sont souvent liés par des conventions cadre avec les assureurs. Seul l’assureur peut apporter des éléments sur ce point.
Dans tous les cas, il faut démontrer le lien de causalité entre le manquement contractuel et les préjudices des maîtres d’ouvrage.
D’ailleurs, n’est-on pas plutôt sur une perte de chance ? Car si l’expert Y avait eu pour mission de donner son accord sur le devis, n’appartenait il pas seulement à l’assureur de le notifier à l’assuré au même titre que la mobilisation des garanties ? La Cour de cassation retient la seule responsabilité de l’assureur en mettant en exergue ses propres fautes constatées par les juges du fond. En effet, sur la base de deux rapports de l’expert Y, visiblement complets et faisant état des démarches des assurés contre les infiltrations, l’assureur n’a pas pris soin de notifier aux assurés sa position sur ses garanties pourtant mobilisables et a donc engagé sa responsabilité.
Cette décision rappelle les diligences auxquelles sont tenues les assureurs pour ne pas aggraver les sinistres et la nécessité également pour le cabinet d’expertise de vérifier les polices d’assurance souscrites au titre de sa profession.
Cette fiche a été rédigée par Marie Gitton, avocate à la cour.